Sur les relations entre Paoli et Napoléon


 



Les faits historiques sont ce qu’ils sont. Une fois scientifiquement établis, ils doivent être admis par tous. En revanche, les interprétations de l’histoire peuvent varier et dialoguer entre elles… toujours dans le respect de la réalité historique, bien sûr.

La question importante des relations entre Paoli et Napoléon a dernièrement donné lieu à Ajaccio à d’intéressants échanges dans le cadre des « Journées napoléoniennes ». J’ai eu moi-même, longuement, l’occasion de présenter mon point de vue lors d’une conférence que l’on m’avait invité à prononcer et qui a été couverte par la presse. Je m’étais déjà exprimé à ce sujet, ces dernières années, à travers plusieurs articles.

Afin de prolonger ces échanges, je présente ici quelques autres positions, complémentaires, qui confortent notre connaissance de la question. Le lecteur pourra utilement se reporter aux textes que je cite et dont je donne les références.

 

« Si l’on s’extrait des constructions nationalistes des XIXe-XXe siècles, on peut essayer de saisir la cohérence de l’esprit de l’Empereur : dans son idée, mais on le voit elle était bien partagée, la Corse paoliste se trouvait du bon côté de l’Histoire, la Révolution corse s’insérait dans cette chaîne des Révolutions chère à Bernard Baylin et en adhérant à la Révolution française on permettait à la Corse de se replacer dans l’Europe du progrès, à rebours de la France des privilèges et des préjugés.

Les études réalisées ces dernières années tant sur les Révolutions de Corse, et singulièrement l’épisode paoliste, que sur les parents de Napoléon, - je pense au livre de Dorothy Carrington - ont révélé au public qu’une autre lecture de ces événements était possible. En replaçant le futur empereur dans son contexte familial corse, on restitue le rôle fondamental joué par Pascal Paoli comme modèle politique tant de Charles que de Napoléon, Joseph ou Lucien. (…)

Les fils de Charles seront eux aussi paolistes au début de la Révolution française, en tout cas au moins jusqu’à la fin 1792. (…)

Au fond, tous ces hommes se présentent alors comme les victimes du “Malheur à qui s’arrête !” de Collot d’Herbois. Et lorsque les circonstances leur ont laissé plus de temps, ils se sont rendu compte que finalement ils étaient beaucoup plus proches qu’ils ne l’avaient perçu. C’est cette approche qu’il nous faut aujourd’hui privilégier (…) Faire ce que James Boswell proposait au sujet de ses deux modèles, Samuel Johnson et Paoli, construire un isthme entre Paoli et Napoléon. »

 

Antoine-Marie Graziani, historien, Professeur des Universités, « Fabriquons un isthme entre Paoli et Napoléon », Héros de Plutarque, éditions Piazzola, 2022.

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« Comment oublier en cette année du bicentenaire de sa mort, que Napoléon dans sa jeunesse n’a eu qu’une obsession : la Corse. 

C’est ce que montrent ses écrits de jeunesse : notes de lecture, esquisses d’études historiques, brouillons de roman, essais inachevés. Il y attacha toujours, même si ses idées évoluèrent, une grande importance, puisqu’il les conserva jusqu’en 1815, à l’exception du Souper de Beaucaire qui fut, il est vrai, imprimé. (…)

Pourquoi Marbeuf a-t-il favorisé l’envoi de Napoléon pour faire des études sur le continent ? Relation avec Madame Mère ? Surtout il s’agit d’intégrer Napoléon dans la France de Louis XVI, en faire un officier français.

Or c’est l’inverse qui se produit. L’officier se transforme en patriote corse. Corse il est, Corse il se veut. »

Jean Tulard, historien, Professeur à la Sorbonne, « La Corse dans les écrits de jeunesse de Bonaparte », Revue LUMI, N° 1, novembre 2022, https://m3c.universita.corsica/lumi/la-corse-dans-les-ecrits-de-la-jeunesse-de-bonarparte/

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« Et c’est vers Plutarque aussi que renvoie l’anecdote célèbre du pèlerinage au champ de bataille de Ponte-Novo, ou Paoli dit à Napoléon, en réponse aux propos magnanimes de son jeune ami : “Tu n’as rien de moderne ! Tu appartiens tout à fait à Plutarque !” (…) Mais derrière la complaisance du Mémorial (où ce mot est plusieurs fois répété), on devine la fierté du disciple devant un jugement par lequel le maître le haussait jusqu’à lui. “C’est un homme de Plutarque ”, pensait et écrivait Bonaparte de Pascal Paoli. “Tu es un homme de Plutarque”, lui réplique-t-on en écho. »

Fernand Ettori, « Pascal Paoli, modèle du jeune Bonaparte », Annales historiques de la Révolution française, N° 203, 1971.

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Et à présent, les paroles de Paoli et Napoléon eux-mêmes :

 

« Paoli m’aimait beaucoup, et je lui étais très-attaché ; mais Paoli épousa la cause de la faction anglaise, et moi, celle des Français, et, en conséquence, presque toute ma famille fut chassée de la Corse. Paoli me frappait souvent avec amitié sur la tête, en disant : « Vous êtes un homme de Plutarque. »

Napoléon Bonaparte, Mémorial de Sainte-Hélène.

 

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« Je l’aime parce qu’il a montré que les habitants de cette île opprimée et vilipendée, autrefois tombée des mains d’un gouvernement tyrannique, savent se distinguer dans toutes les carrières. Il nous a vengés de tous ceux qui ont été les causes de notre abaissement. (…) Oh, combien y en a-t-il qui ne se croient d’aucune manière inférieurs à Bonaparte ! Alors, si vous avez de nobles ambitions et du talent, l’exemple lumineux vous l’avez devant les yeux. »

Pasquale Paoli à l’abbé Poletti à Rome, le 18 mars 1801 (Niccolò Tomamaseo, Lettres de Pasquale Paoli, traduction d’Évelyne Luciani, Albiana, p. 672).

 

 

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