Le communautarisme français va-t-il générer un problème « caldoche » en Corse ?
Sfida nova (seguita)
Depuis la publication de ce texte, nous avons eu l’occasion de
préciser nos positions, notamment lorsque la presse nous y a invité.
Par ailleurs, nous constatons que s’agissant de certaines
problématiques, les lignes sont en train de bouger y compris parmi les élus non
nationalistes, lesquels semblent en train de prendre conscience de la gravité
de la situation. Le débat organisé aux Ghjurnate internaziunale sur la question
foncière a montré que le constat, alarmant, était partagé bien au-delà du
courant national.
La dilution culturelle en cours
Chacun en a désormais pris conscience : le solde
migratoire est actuellement de 4000 à 5000 personnes par an, ce qui est
considérable eu égard à notre démographie. Les chiffres de l’INSEE sont clairs
et inquiétants : « Entre 2015 et 2021, la population augmente en
moyenne de 1,0 % par an, soit la croissance la plus dynamique des régions
métropolitaines… » Notons qu’il s’agit du triple de la croissance
française ! L’INSEE précise que « cette évolution est due
exclusivement au solde migratoire » puisque notre solde naturel est
négatif[1].
Une immigration trois fois plus importante qu’en France, alors qu’à la
différence de l’hexagone, nous ne disposons en ce qui nous concerne d’aucun des
moyens juridiques nécessaires pour faciliter l’intégration des nouveaux
arrivants, notamment par la langue. Non seulement nos droits linguistiques sont
bafoués, mais dans les discussions actuelles entre la Collectivité de Corse et
Paris, il n’est aucunement question de les reconnaître.
De la même manière, la question du statut de résident pour
lutter contre la dépossession foncière a été écartée des débats alors que la
pression extérieure sur les prix met hors de portée des Corses l’accession à
propriété et même souvent à la location (les loyers ayant été contaminés par
les prix de vente de l’immobilier). Doit-on rappeler qu’entre 2006 et 2017, le
prix des terrains à bâtir a bondi de 138 % (contre 68 % en France) ? Et
les choses ne se sont pas améliorées depuis… En septembre dernier, le prix
moyen au mètre carré était de 4046 euros pour les appartements et de 3910 euros
pour les maisons (prix haut : 7232 euros !). De nombreux Corses ne
peuvent plus se loger dans leur village ou leur quartier et quittent l’île pour
laisser leur place à des Français plus fortunés, lesquels sont en mesure
d’acquérir nos terres et nos maisons…
Le communautarisme français à l’œuvre
Les phénomènes de dilution et de dépossession que nous venons
d’évoquer sont en cours depuis des dizaines d’années. Toutefois, ils ont
longtemps été freinés par l’action résolue des clandestins. Malgré les succès
électoraux nationalistes de la dernière décennie, le droit n’a pas pris le
relai des bombes, ce qui a créé un appel d’air amplifiant considérablement les
dégâts. Et la vacuité du projet actuel de révision constitutionnelle, passablement
compromis du reste, n’ouvre de toute façon aucune perspective d’amélioration…
Par ailleurs, si les tendances néfastes qui se manifestaient
jusqu’à présent progressaient à bas bruit, dorénavant, avec l’évolution des
rapports démographiques, donc des rapports de forces, les choses se font
ouvertement et même avec une certaine prétention. Des revendications
communautaristes françaises sont désormais formulées publiquement sans le
moindre complexe. Qui aurait pu imaginer il y a seulement dix ans un
communiqué de presse comme celui de la FCPE 2A en juin dernier, s’opposant à la
politique en faveur de la langue corse mise en œuvre… par le rectorat ? En
un mot comme en cent, anu pigliatu cunfidenza…
Après des années et des années de minoration insidieuse de la
seule communauté de droit sur la terre corse, après un accaparement
systématique par les nouveaux venus des postes à responsabilités dans
l’administration – y compris territoriale – on assiste aujourd’hui à un
début de structuration politique d’une population qui n’a nullement l’intention
de partager un destin commun avec les Corses…
Vers un problème « caldoche » en
Corse ?
Lorsque que dans une commune moyenne proche d’un grand centre
urbain et ayant reçu ces dernières années un nombre conséquent de nouveaux
arrivants, l’un de ceux-ci vient trouver le maire pour lui dire « Monsieur
le Maire, avec nos amis nous avons observé que sur votre liste, il n’y a pas un
seul patronyme continental », il ne s’agit pas d’une simple démarche
individuelle offrant une contribution au travail municipal. Non, il faut
manifestement y voir une revendication de type communautariste. Il n’est ici aucunement
question de participer à une « communauté de destin » mais bien
d’obtenir une représentation politique en tant que Français, avec l’idée d’en
faire, à tout le moins, un groupe de pression. Autre exemple, lorsque dans une
commune moyenne du littoral insulaire les deux opposants traditionnels sont
contraints de s’unir pour ne pas perdre la mairie face à une liste de « continentaux »,
c’est sans doute une bonne idée de réaliser l’union devant ce danger. Toutefois,
elle ne permet au mieux que de reculer l’échéance puisque si la tendance
actuelle se confirme, les Corses, mêmes unis, finiront par être minoritaires et
par perdre les responsabilités politiques dans leurs communes, puis au niveau
de la Collectivité. J’ajoute que les maires corses qui nous ont fait part de
ces difficultés ne sont pas nationalistes, mais qu’ils commencent à comprendre
le problème que pose cette arrivée massive de plusieurs milliers de français,
chaque année, sur le territoire de la Corse. Autre élément devant éveiller les
craintes de cette nature : les scores très importants réalisés lors des
dernières élections législatives par des candidats du Rassemblement national
dont trois sur quatre n’avaient pas d’attaches en Corse…
Force est de constater que le risque est grand de
voir se développer, face au peuple corse, une communauté concurrente organisée,
laquelle se manifeste déjà – à travers des candidatures aux élections
politiques ou professionnelles ou par une présence importante dans le milieu
syndical et associatif – et va jusqu’à tenter de contrecarrer la mise en œuvre
des quelques mesures actuelles en faveur de notre langue ! Une telle offensive
est – faut-il le rappeler ? – aux antipodes de l’intégration à une
communauté culturelle de destin, démarche d’ouverture que les nationalistes ont
toujours préconisée. Si nous n’y prenons garde, ce phénomène va conduire à
la naissance d’une problématique de type caldoche sur notre terre, ce qui
compliquerait considérablement la question politique corse. Aux difficultés
que nous connaissons déjà, notamment sur le plan social, s’ajouterait un
clivage au sein de notre société qui ferait changer radicalement le
« problème corse » de nature. La situation imposée à nos amis kanaks
nous donne une idée de celle que nous aurions nous-mêmes dès lors à affronter…
La question la plus urgente…
Ainsi, même si les affaires institutionnelles conservent leur
intérêt et méritent d’être traitées, la question la plus urgente est
incontestablement celle que nous venons d’évoquer, à savoir l’installation
d’une communauté française large et organisée, la dilution du peuple corse, la
dépossession foncière dont il est actuellement victime, et évidemment le recul
permanent de notre langue qui est à la fois le « sanctuaire de notre
identité » et un puissant instrument d’intégration ayant fonctionné durant
des siècles.
Aussi, plus que jamais doivent être défendues nos
revendications historiques constitutives d’une véritable citoyenneté corse :
statut de résident, coofficialité de la langue corse et corps électoral
spécifique. Ces idées commencent à faire leur chemin, y
compris dans l’esprit de nombreux élus non nationalistes, ne serait-ce que parce
qu’ils risquent à court terme d’être privés de leurs mandats politiques au
bénéfice de nouveaux venus…
Quant à ceux qui débarquent chez nous en pensant arriver sur
un simple morceau de terre française – parce qu’achetée naguère à Gênes par la
France –, ceux qui ne considèrent pas comme une chose naturelle que notre
langue soit enseignée dans nos écoles, qu’ils sachent qu’ils ne sont pas les
bienvenus et que les compagnies de transport qui les ont conduits chez nous
vendent également des billets retour.
[1]https://www.insee.fr/fr/statistiques/4481069#:~:text=Au%201er%20janvier%202021,triple%20de%20la%20moyenne%20nationale.

