L’héritage spirituel du pape François

Le pape François nous a quittés. Cette nouvelle a attristé nombre de nos contemporains, de toutes nationalités et de toutes confessions. En Corse, la nouvelle a été ressentie d’autant plus durement que notre pays fut le dernier qu’il entreprit de visiter, en décembre dernier, alors qu’il venait de décliner l’invitation à participer à l’inauguration de Notre-Dame de Paris restaurée… Ce faisant, il demeurait fidèle à lui-même : aux événements mondains fréquentés par les maîtres du monde, il préférait l’authenticité des terres dites « périphériques ». Si la Corse n’est aucunement périphérique par nature, elle l’est malheureusement devenue, de fait, depuis que la France décida de l’annexer par les armes. Malgré sa proximité géographique avec Rome, aucun pape en deux-mille ans n’avait cru bon de la visiter. François l’a fait, un jour de décembre 2024 qui demeurera dans les mémoires comme un moment historique – pour une fois le mot n’est pas galvaudé. Et cette visite fut l’occasion d’une adoption instantanée du pape par les Corses, à tel point que le souverain pontife devait déclarer se sentir chez lui dans l’île. Cela n’est pas tellement étonnant quand on y pense.

En premier lieu, le pape était un latin, ce qui l’a évidemment rapproché de nous sur un plan culturel.

En deuxième lieu, ce jésuite a choisi de placer son pontificat sous le signe de François d’Assise. Or, la Corse est au cœur de cette Méditerranée qui fut – et demeure largement – impactée par le franciscanisme. De ce dernier, quel est le message ? L’attention aux petits, aux pauvres, aux modestes, ce qui constituait du temps de Saint François un retour à la lettre de l’Évangile. Et le pape François a délibérément réactivé cet impact civilisationnel du saint du XIIIe siècle. Il l’a fait contre les princes de l’Église, qui lui furent évidemment peu favorables, mais avec le soutien des milieux populaires qui lui vouaient une véritable vénération. Comme Saint François, notre pape prêchait par l’exemple, refusant le luxe et la pompe qui étaient habituels à la fonction qu’il occupait désormais. L’attitude à cet égard de ce singulier souverain lui a certainement valu une part de l’immense sympathie dont il bénéficia dans l’île dès sa prise de fonction. La Corse est en effet une terre très marquée par le franciscanisme, ce dont témoigne nombre de couvents dont le rôle fut si important dans notre histoire nationale.

En troisième lieu enfin, François entretenait avec la Vierge Marie un lien spirituel tout particulier, ce qui le rapprochait encore d’un peuple ayant pour hymne national le « Diu vi salvi Regina ».

Certains observateurs prétendument avisés ont immédiatement voulu dresser un bilan « mitigé » du pontificat, présentant comme un échec le fait que l’Église avait peu été réformée par François, comme si la vocation d’un pape se limitait à faire évoluer l’institution… Faut-il rappeler que François d’Assise n’a pas non plus bousculé l’Église, qu’il ne l’a pas « réformée ». Mais son message spirituel a pourtant traversé les siècles dans sa fraicheur et sa radicalité. Or c’est bien ce message franciscain qui a été renouvelé par le pape François et qui a trouvé dans ses encycliques une actualité, une cohérence et une vigueur inouïes depuis il poverello : l’attention à la création (« Laudato si’ »), la fraternité, notamment avec les plus modestes (« Fratelli tutti »)… Souvenons-nous aussi de son action en faveur du dialogue interreligieux (déclaration d’Abu Dhabi signée avec le Grand Imam d’Al-Azhar). En son temps, François d’Assise avait rencontré le sultan d’Égypte, au moment même où se déroulait une croisade ! Nous citerons encore – par affinité professionnelle avec cet ancien professeur de lettres – le texte du pape François sur « le rôle de la littérature dans la formation », dans lequel il estime indispensable, spécialement en l’état actuel du monde, de lutter contre « l’incapacité émotionnelle », notion qu’il emprunte à T.S. Eliot.

C’est pourquoi, soyons-en convaincus, le message universel du Saint-Père aura davantage d’influence sur l’avenir de l’humanité qu’une quelconque réforme de l’Église.

Quant à la Corse, au moment où ses formes de religiosité et de laïcité – cette singulière « laïcité corse » – sont souvent regardées avec suspicion, notamment par Paris, elle a reçu du pape un aval explicite : « Sur ce sujet, vous êtes en route depuis longtemps et vous êtes un exemple vertueux en Europe. Continuez sur cette voie ! » (Discours du 15 décembre 2024 à Ajaccio).

Notre évêque – François également, et franciscain de surcroît ! – dont le Saint-Père a tenu à faire un cardinal, contribuera n’en doutons pas à diffuser la lettre et l’esprit du message papal sur une terre précocement christianisée et ayant enfin reçu, en décembre dernier, la reconnaissance qu’elle méritait.

Pour toutes ces raisons, la Corse conservera précieusement, ab eternu, sa part de l’héritage spirituel du pape François.

À ringrazià vi, Santu Padre !

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