Meeting de clôture des Ghjurnate Internaziunale : Discours de Jean-Guy Talamoni


Remerciements aux délégations étrangères 
Remerciements aux représentants des formations corses 
Remerciements aux militants de Corsica Libera qui ont travaillé à l'organisation des Ghjurnate 
Salut aux prisonniers et aux recherchés 

Vulerebbi chè no pensessimu dinù à quelli chì si ne sò andati quist’annu è, particularamente, qualchì ghjornu fà, u nostru amicu Petru Vachet-Natali, militante di Corsica Libera, pueta di prima trinca.

Notre action politique

Depuis trois ans et demi, les nationalistes exercent les responsabilités au sein des plus importantes institutions de l’île, à savoir celles de la Collectivité de Corse. Notre bilan peut être discuté et il est bon qu’il le soit. Le débat démocratique est toujours nécessaire. Nous-mêmes avons parfois considéré que les choses n’allaient pas assez vite, ce qui nous a conduits à interpeller nos partenaires. Nous avons beaucoup discuté depuis et nous estimons que, malgré l’attitude fermée de Paris, un certain nombre d’avancées peuvent être réalisées.

En ce qui concerne Corsica Libera, nous nous efforçons de défendre inlassablement les orientations majeures de notre projet de société :

- Promotion des droits nationaux du peuple corse
- Justice sociale
- Défense de la terre et de l’environnement


Pour notre part, nous avons pris de nombreuses initiatives qui s’inscrivent résolument dans le cadre de ce projet de société, et ce au titre de notre groupe ou de la présidence de l’Assemblée de Corse.

Je citerai simplement la Charte en faveur de l’emploi local, récemment validée par l’Assemblée de Corse, le Fonds social de solidarité « Corsica Sulidaria », a Carta ritirata, le micro-crédit, le programme PRIMURA…

Par ailleurs, la création d’une Assemblea di a Giuventù – dont certains élus sont présent aujourd’hui – je les salue – a permis de faire en sorte que notre jeunesse devienne une véritable ressource pour l’action publique.

Je ne citerai évidemment pas ici tous les dossiers que nous avons eu à traiter ces dernières années. De son côté, le Conseil exécutif, outre la gestion du quotidien, a également pris des initiatives qui allaient souvent dans le même sens.

Notre majorité est donc au travail depuis notre prise de responsabilités, mais elle est limitée dans son action par le manque de certains outils juridiques et fiscaux, et aussi, souvent, par la malveillance de l’administration d’Etat, laquelle lui livre une guérilla, y compris judiciaire, sans merci. Il faudra que cela cesse et que s’ouvre enfin une nouvelle séquence, apaisée et constructive, mais nous en sommes encore loin pour l’heure, manifestement.

Les élections municipales

Quelques mots sur ces élections municipales qui font aujourd’hui l’objet de toutes les spéculations. Les choses sont pour nous assez simples. Nous proposons d’appliquer la méthode qui nous a portés en 2017 à de larges victoires, tant aux législatives qu’aux territoriales : une liste commune de la majorité Per a Corsica – ou investie par Per a Corsica – dès le premier tour. En 2017 déjà, des discussions ont eu lieu sur la pertinence de cette méthode. Certains cadres de Femu a Corsica penchaient clairement pour des listes séparées au premier tour et une jonction au second. À Corsica Libera, nous pensions le contraire, même si les arguments de tactique électorale qui nous étaient opposés pouvaient alors être entendus. Ils avaient leur logique. Notre proposition a finalement été retenue et la victoire fut au rendez-vous pour les deux élections, et de quelle manière… Aussi, à notre avis, cette méthode validée par l’expérience devrait être reconduite. C’est aussi ce que pense le PNC. Nous attendons à présent la réponse définitive de Femu a Corsica, que nous respecterons naturellement dans tous les cas.

Mais je souhaiterais ajouter une réflexion personnelle sur l’ouverture aux autres forces politiques et aux élus non nationalistes. Nous sommes évidemment pour cette ouverture : la Corse de demain sera construite avec tous les Corses. Toutefois, en ce qui nous concerne, nous estimons qu’elle doit se faire sur une base politique solide. Autrement dit, il nous paraitrait hasardeux d’écarter des militants nationalistes de toujours pour faire élire des personnalités qui ne se sont jamais spécialement signalées par leur sentiment national. Ni même de laisser en place des municipalités politiquement éloignées de nos idées quand nous pouvons confier les rênes d’une commune à un militant de notre mouvement. Il ne s’agit pas de faire preuve d’ostracisme à l’égard de quiconque mais de faire progresser nos idées à travers des responsabilités électives. C’est simplement le jeu démocratique.

Par ailleurs, il n’a échappé à personne que devant le refus obstiné de Paris de discuter de notre projet pourtant validé par les Corses – j’y reviendrai – et compte tenu de l’évolution de nos formes de lutte – il n’est pas, il me semble, question de revenir en arrière à cet égard –, un bras de fer politique devra avoir lieu avec Paris. Or, dans cette perspective, nous aurons besoin de maires déterminés à défendre la Corse et le projet porté par ses institutions. A carnavalata di Cuzzà a permis de constater que certains élus – dont nous ne contestons pas la bonne foi – sont loin d’avoir les idées claires à cet égard, ce qui les conduit parfois à cautionner l’attitude inique de l’administration d’Etat et à jouer – parfois sans le vouloir – contre la Corse. Sans jeter la pierre à quiconque, je dirai simplement que nous ne sommes pas encore sorti du conflit avec Paris, même si celui-ci a pris d’autres formes. Dans cette situation, nous aurons besoin d’élus solides, qui ne se laisseront pas circonvenir par la préfectorale, et qui agiront toujours au bénéfice non seulement de leurs administrés, mais aussi de la Corse et des Corses dans leur ensemble. Et qui, au besoin, sur des sujets essentiels comme la langue ou le foncier, seront capables d’aller jusqu’à la désobéissance civile sans se laisser intimider par la menace d’une procédure judiciaire.

De la victoire électorale à la victoire politique

J’ai eu l’occasion de le dire, mais je vais le répéter ici devant vous : lorsque nous avons entamé cette longue marche – « tamanta strada », ma per noi ùn hè mai statu una strada fiurita, piuttostu un chjassu petricosu – personne ne croyait en nos chances de réussir. En 1976, année de la création du FLNC, nous étions marginaux politiquement, inexistants électoralement et condamnés à cette inexistence par la fraude électorale et le clientélisme triomphant, appuyé par Paris. Notre peuple lui-même avait oublié qu’il avait été une nation indépendante et il se résignait à accepter le statut avilissant de département français. Frappé par le complexe du colonisé, il ne reconnaissait plus aucune valeur à sa langue et à sa culture. Il était prêt, majoritairement, à accepter le saccage de son patrimoine naturel. En commençant par le bétonnage du littoral prévu par des stratégies de développement démentes mais rendues désirables par l’appât du gain.

Alors, quelques jeunes Corses ont relevé le défi, celui d’une lutte sans concession pour que notre peuple vive.

Quarante ans plus tard, quel bilan ? La bataille culturelle, première étape dans le schéma gramscien, a été gagnée. La place de notre langue et de notre culture, la nécessité de protéger notre terre et d’obtenir de nouvelles compétences juridiques et fiscales, tout cela est aujourd’hui consensuel au sein de la société corse.

Prenons l’exemple de la question de la dépossession foncière et immobilière : il y a quelques jours à l’Assemblée de Corse, les élus de l’opposition ont explicitement reconnu qu’en la matière, les nationalistes avaient été des « éclaireurs », euphémisme signifiant simplement que les nationalistes avaient eu raison de lutter de toutes leurs forces pour contenir les avancées spéculatives.

Merci à ces élus de l’avoir reconnu : l’honnêteté est une chose partagée et elle peut aussi venir des bancs occupés par nos adversaires politiques.

Je poursuis le bilan : la bataille électorale a été gagnée, dès 2015, et à nouveau en 2017, à la majorité absolue cette fois. Qui aurait imaginé cela il y a seulement quelques années ?

Alors, oui, les discussions avec Paris sont bloquées. Oui, nous avons besoin de lever ce blocage pour traiter les questions essentielles et régler les problèmes qui assaillent les Corses. Beaucoup s’impatientent et nous comprenons d’autant mieux cette impatience que nous la partageons.

Toutefois, une nouvelle stratégie a été voulue et mise en œuvre par le FLNC il y a seulement cinq ans. Cette stratégie a déjà porté partiellement ses fruits car elle a permis l’accession des nationalistes aux responsabilités quelques mois plus tard. À Corsica Libera, nous sommes pleinement solidaires du FLNC dans cette nouvelle stratégie, comme nous l’avons été lorsqu’il menait le conflit. Une stratégie ne se change pas tous les six mois et celle-ci a déjà donné des résultats et non des moindres.

Reste le blocage actuel. Lorsqu’on observe les choses politiques, il faut le faire dans le temps long. Depuis 40 ans, les gouvernements français de gauche et de droite ont alterné les périodes de blocage et de répression et les périodes de négociations. Et ce alors que nous étions minoritaires. Nous avons négocié avec Joxe, avec Marchand, avec Pasqua, avec Debré, avec Jospin, avec Sarkozy… Les gouvernements français passent, notre lutte demeure, même sous d’autres formes. Il y a seulement trois ans, le premier ministre de la France, Manuel Valls, nous lançait sous forme de provocation « Je ne sais pas ce qu’est la nation corse ». Apparemment, il ne se préoccupe plus aujourd’hui de la nation corse, ni du reste de la nation française. Il a disparu des radars, sauf pour nos amis catalans.

Manuel Valls n’est plus là. La nation corse est toujours là et poursuit sa lutte vers la souveraineté.

Après la victoire culturelle, la victoire électorale, s’ouvre une nouvelle séquence : celle de l’accession à la souveraineté. Souveraineté partielle, en tout cas dans un premier temps, à travers un nouveau statut, ce que les Corses ont déjà validé par le suffrage universel en décembre 2017. C’est l’accord qui nous lie à nos partenaires de Per a Corsica pour une dizaine d’années. Mais en ce qui nous concerne, à Corsica Libera, le travail de conviction devra se poursuivre au-delà de cette décennie pour convaincre les Corses de soutenir notre projet d’indépendance nationale pleine et entière.

Car rien ne saurait empêcher les Corses de choisir leur destin. Et certainement pas une loi – ni même une constitution – française. En janvier 2018, notre majorité, nouvellement élue à la majorité absolue, a prêté serment sur le préambule de la Constitution de Paoli de 1755. Il ne s’agissait pas seulement d’un geste symbolique. Ce préambule n’est pas une antiquité seulement bonne à exposer dans un musée. Je rappelle que les Etats-Unis fondent actuellement leur démocratie sur un texte constitutionnel approximativement de la même époque.

Pour nous, le préambule constitutionnel de 1755 garde toute sa force politique et même juridique, et c’est ce que nous avons exprimé par notre serment. Ce préambule fait explicitement état du droit de la nation corse à l’autodétermination. Je cite : « La diète générale du peuple corse, légitimement maître de lui-même… »

Que l’on se dise bien, à Paris, à Bruxelles et ailleurs, que rien ne nous fera manquer à notre serment, qu’aucun texte étranger ne saurait prévaloir sur notre propre constitution et qu’aucun argument juridique ne pourra, jamais, être opposé au peuple corse sur la voie de son autodétermination, et, s’il le décide, de son indépendance nationale.


Ce que je vous demanderai pour conclure, c’est de considérer le chemin parcouru ces dernières années et de ne jamais douter de notre victoire. Je m’adresserai prioritairement aux jeunes qui sont à la fois l’actualité et l’avenir de la nation. Je salue à cet égard le nouveau mouvement Giuventù libera.

À notre jeunesse, je dis, animé par les convictions que nous avons ici en partage :

Ne doutez jamais de nos forces. Ne doutez jamais de vous. Ne doutez jamais de notre capacité collective à faire face aux nouveaux enjeux comme nous avons fait face, non sans un certain succès, aux situations précédentes souvent bien plus difficiles que celle d’aujourd’hui.

Nous avons traversé des crises, des tempêtes, et contre les Cassandres, contre les prophètes de malheur, nous sommes toujours présents et nous avons avancé. Préparons-nous simplement, avec détermination et sérénité, aux combats à venir.

J’évoquais Antonio Gramsci, un penseur avec lequel nous avons beaucoup à partager, notamment l’engagement social qui fut le sien. Je le citerai pour conclure mon propos. Il était sarde mais écrivait en italien. Je traduis en langue corse car je m’adresse ici tout particulièrement aux jeunes Corses :
« Struite vi perchè avemu bisognu di tutta a vostra intelligenza, 

Muvite vi perchè avemu bisognu di tuttu u vostru fervore, 
Urganizate vi perchè avemu bisognu di tutta a vostra forza. » 


È eiu, vi dicu dinù : a vostra forza, a forza populare, a forza naziunale, ci porterà à a vittoria !
Ùn ne dubbitate mai !

Evviva a Corsica !

Evviva a nazione !


Corti, u 4 d'agostu di u 2019

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