Un après-midi avec André Glucksmann

Il y a une quinzaine d’années dans une petite marine du Cap corse, j’eus une longue conversation avec André Glucksmann. Un ami commun avait organisé la rencontre, m’indiquant qu’il s’intéressait à la situation corse.

Je me rappelle son attention, ainsi que celle de son épouse. Ils avaient été militants tous les deux. Il me semblait qu’à ce titre ils pouvaient nous comprendre. Rappelons qu’à cette époque, notre mouvement était passablement diabolisé par les élites parisiennes. De fait, la discussion fut très agréable et ne se limita point à la question corse. Sur cette dernière, André Glucksmann écouta beaucoup et parla peu, expliquant qu’il ne voulait pas jouer au philosophe ayant son avis sur tout. Il avait lu plusieurs numéros de notre journal U Ribombu et avait été quelque peu heurté par les termes que j’avais utilisés dans un discours de clôture des Journées Internationales de Corti. J’y dénonçais le passé colonial de la France avec une vigueur qu’il trouvait excessive et qui ne pouvait pas l’être de notre point de vue. En revanche, je comprenais le sien… Je trouvais même plutôt sympathique ce réflexe naturel de défense de son pays. J’ai parfois observé la même réaction de la part d’un autre philosophe français, mon ami Marcel Conche, qui me reproche gentiment dans son dernier ouvrage d’avoir critiqué la Révolution française. André Glucksmann trouvait injuste de réduire l’histoire de la France à la colonisation… Ce que je ne faisais pas tout à fait mais qu’il n’était pas non plus absurde de lire en filigrane dans mes propos. Lorsque nous nous sommes quittés en fin d’après-midi, il me conseilla de contacter l’un de ses amis, une personnalité politique influente qui pouvait selon lui nous aider à mieux faire connaître notre cause de l’autre côté de la mer.

J’ai gardé de cet entretien le souvenir d’un homme sincère et bienveillant.

Je ne l’ai plus vu depuis.

Pourtant, ce matin, la nouvelle de sa disparition m’a vraiment attristé.

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