Partis sans direction





Il y a quelques mois, Nicolas Alfonsi évoquait « l’émergence de nouveaux clans ». Nous n’avons pas l’habitude de citer l’ancien sénateur mais, en la matière, on ne peut lui contester une certaine expertise. À un détail près : si le mot « clan » a été depuis fort longtemps utilisé s’agissant de la Corse, il est – sur le plan anthropologique – radicalement inadapté à la situation insulaire. Le vocable exact, que l’histoire de notre pays nous a légué, est en fait « parti », u partitu, le terme étant pris ici en un sens très différent de l’acception courante de « parti politique ».

Le parti existe en Corse depuis le fond des âges, et l’on aurait tort de l’accabler de tous les maux. Il n’est en fait qu’une forme de solidarité, d’organisation de la société, que la Corse s’est donnée pour faire face à une histoire souvent difficile. Ce qui dévoie le parti, qui le pervertit, c’est la pratique clientéliste, celle du service rendu contre le suffrage, du chantage à l’emploi ou au logement, de la dépendance matérielle que des générations de politiciens insulaires ont cultivé avec opiniâtreté. Nicolas Alfonsi a été l’un des maîtres d’œuvre de ce système, ce qui ne l’empêche pas de dire de temps en temps une vérité. Par exemple, lorsqu’il affirme que Corsica Libera a gagné la bataille des idées. Même si cela ressemble un peu à l’hommage du vice à la vertu, ce n’est pas faux. Et lorsqu’il annonce l’irruption de nouveaux clans – entendez « partis » – en regardant du côté des nationalistes, il n’a pas tort non plus. Il existe bien deux partis, peut-être davantage, au sein de la famille nationaliste. Corsica Libera est l’un de ces partis, qui tente, modestement, de suivre le fil historique de ce que les paolistes appelaient eux-mêmes « le parti de la nation » (cf. «Giustificazione» de Salvini). Car tout le mérite des nationaux corses du XVIIIe siècle, avant même u Babbu di a Patria, a été de créer un nouveau « partitu » poursuivant l’objectif de souveraineté nationale, et de rallier à leur cause les autres partis qui, jusque-là, n’avaient aucune direction autre que l’accroissement de leurs puissances respectives. En 1755, le parti de la nation devint un Etat, après avoir globalement rassemblé les autres sous sa bannière.

Revenons au XXIe siècle et de façon plus prosaïque aux affaires électorales. Certaines candidatures mixtes (associant nationalistes et non nationalistes) se font autour d’un projet commun pour la Corse (la réforme votée par l’Assemblée). D’autres accords électoraux sont noués entre organisations ayant des points de vue opposés sur ledit projet de réforme. Cela est plus problématique puisque, dès lors, le seul objectif devient la répartition des responsabilités. Et la seule perspective la participation de nationalistes à la gestion d’un statu quo mortifère pour la nation.

Ainsi, quel que soit l’ampleur de leurs succès éventuels, le problème des différents partis nationalistes sera de maintenir le cap national, qui est – comme leur nom l’indique – leur seule raison d’être.

(Publié dans La Corse, supplément au quotidien Corse-Matin, le 17.IV.2015)

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