Les 39 ans d’Aleria




Aleria 1975-2014. 39 ans. 39 ans et non 40.

Quelle importance, après tout ? Tout est question de conventions, y compris le système décimal. Et puis, il n’est jamais trop tôt pour bien faire… Il est cependant, parfois, un peu tard pour bien dire. Nous y reviendrons.

Il y a quelques jours, nous étions donc à Aleria pour nous souvenir d’un événement important de notre histoire contemporaine.

En août 1975, le commando d’Aleria inaugura symboliquement la révolte des Corses, lesquels revendiquaient simplement le droit à une existence collective, comme peuple. Soit dit en passant, réduire cet événement à une réaction générée par le problème viticole – comme cela a parfois été fait ces derniers jours – est absurde et consternant.
Quelques mois plus tard, en mai 1976, naissait fort logiquement le Front de Libération Nationale de la Corse, la clandestinité constituant le seul moyen de poursuivre la démarche ouverte à Aleria. En effet, l’issue du bref affrontement – terriblement asymétrique – et le départ d’Edmond Simeoni pour les prisons françaises, montraient qu’à l’évidence il n’était pas envisageable de poursuivre « à visage découvert » ce combat armé que l’ARC avait voulu initier, de façon légitime et irréversible. C’est la raison pour laquelle on doit considérer Aleria et la création du FLNC comme constituant un seul et même moment de l’histoire de la Corse, le second découlant naturellement du premier, sauf à sombrer dans l’inconséquence. La logique aurait donc voulu que l’ensemble du mouvement national affirmât une solidarité patriotique constante à l’égard du FLNC, ce qui aurait considérablement renforcé le camp de la Corse. Ce ne fut malheureusement pas le cas.

On assista à l’inverse, de la part du courant autonomiste, à la mise en œuvre d’une ligne politique fluctuante, ainsi qu’à l’élaboration d’un champ lexical approximatif et parfois spécieux. Nous pensons notamment ici à l’expression « lutte démocratique » que l’on opposait indûment au combat clandestin, comme si ce dernier n’avait pas pour objectif de servir des objectifs conformes à la démocratie la plus élémentaire : se réapproprier son destin, face à la brutalité d’un Etat étranger et de ses complices dans l’île.

Edmond Simeoni lui-même, dont le comportement exemplaire à Aleria et la légitimité qui en découlait aurait dû faire un opposant redoutable à la politique française en Corse, se mit apparemment à douter. Non seulement il prit ses distances à l’égard du FLNC, mais il en vint à condamner sa propre action, plongeant dans une profonde perplexité ceux qui étaient les mieux disposés à son égard (au nombre desquels nous figurions du reste) :

"Je n’aurais pas dû occuper la cave d’ALERIA en 1975 où sont morts deux hommes jeunes et où un autre a été gravement blessé." (conférence de 1987 au théâtre de Bastia).

Depuis, le discours des responsables autonomistes a souvent varié au gré des circonstances.

C’est donc avec une grande satisfaction que nous avons, ces derniers jours, enregistré l’hommage appuyé d’Edmond Simeoni au FLNC, regrettant cependant que pour le formuler, le leader historique ait attendu que l’organisation clandestine décide la fin de ses activités militaires. Au moment le plus intense du rapport de force entre le FLNC et l’Etat français, une solidarité sans faille de l’ensemble du mouvement patriotique aurait été précieuse.

Il est bon d’entendre enfin reconnaître la légitimité de l’action clandestine. On ne peut toutefois manquer de se dire : « Que de temps perdu ! ».
Par-delà les regrets, tirons les enseignements de notre histoire. Bannissons désormais, résolument, les palinodies.
Et tenons pour acquis que la ligne droite, a strada diritta, constitue toujours la meilleure voie.

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