Assemblée de Corse - Débat sur l’officialisation de la langue corse - Intervention de J.-G. Talamoni (traduction en français)





Il y a deux ans, presque jour pour jour, je plaidais vainement, devant cette Assemblée, pour l’officialisation de la langue corse.

Je reviens aujourd’hui devant vous avec la même détermination, mais avec davantage d’optimisme, optimisme de la volonté mais d’une volonté qui nous paraît – aujourd’hui – réellement partagée.

C’est que nous avons longuement expliqué, en particulier ces derniers mois, les positions qui sont les nôtres depuis toujours.

Nous avons dit, cent fois et plus, que la langue corse est la langue de tous les Corses. Nous avons démontré que l’officialité est nécessaire si l’on veut avoir une chance de sauver ce trésor que nous avons en partage : cette langue, qui n’est pas seulement un moyen de communiquer, mais notre manière d’être présent au monde…

Sur la carte des langues menacées de l’UNESCO, nous retrouvons, à côté du corse, toutes les langues ne bénéficiant pas de l’officialité. Si vous considérez par exemple le catalan, vous constaterez que, bien qu’il ait risqué de disparaître après la mort de Franco, l’officialisation a permis non seulement de le sauver mais également de contribuer à son développement. Les exemples de cette nature sont nombreux…

Nous avons dressé, de façon difficilement contestable, un bilan inquiétant, pour ne pas dire davantage.

Il y a quelques jours à Cervioni, Pasquale Ottavi rendait publiques les conclusions d’une enquête menée sous sa direction et commandée par la « Délégation Générale à la langue française et aux langues de France » au sujet de l’usage spontané des langues dans la rue. S’agissant du corse, ces conclusions sont celles que nous attendions intuitivement mais qui sont à présent scientifiquement validées : l’usage de notre langue est inversement proportionnel à l’âge. Autrement dit : plus on est jeune, moins on parle le corse.

Pour que cet échec – actuel – de la transmission soit dépassé, et qu’il n’entraîne pas mécaniquement demain la mort de notre langue, il convient de sortir d’une politique qui s’est révélée insuffisante…

Pour l’heure, cette politique se limite à l’enseignement et même sur ce plan il y aurait beaucoup à dire.

Presque 10 ans après la fameuse loi de 2002 ayant rendu obligatoire pour l’Etat l’offre dans le primaire, force est de constater que cette loi n’a pas encore reçu pleine application : seuls environ 50% des élèves reçoivent un enseignement de trois heures hebdomadaires (enseignement bilingue compris). Et si l’on tente de réaliser une prospective, on ne peut que s’alarmer, compte tenu de ressources humaines corsophones en nette diminution. Le dispositif « Maestranza », sur lequel beaucoup d’espoirs ont été fondés, ne concernera cette année qu’une petite dizaine d’étudiants. Nous sommes loin du compte s’agissant des besoins.

Lorsqu’on quitte la question de l’enseignement, le constat est encore moins réjouissant.

S’agissant des « Case di a lingua » créées dans leur principe en 2007, il faut bien constater que pour l’heure, pas une n’a ouvert ses portes.

En ce qui concerne les Chartes de la langue corse, peu ont été signées, et même lorsqu’elles l’ont été, elles sont souvent peu suivies d’effet dans la pratique. Saluons toutefois une exception notable : le Sporting de Bastia, qui, ayant signé la Charte il y a seulement quelques mois, l’a mise en œuvre sans tarder. Nous nous réjouissons en outre de la signature prochaine annoncée par l’ACA.

Mais ces rares avancées ne peuvent masquer le recul massif de notre langue qui se poursuit inexorablement, y compris sur des terrains que l’on croyait acquis : même les panneaux bilingues sont aujourd’hui considérés comme illégaux au regard des normes de la sécurité routière ! À ce propos, est-il bien nécessaire d’accoler aux noms corses de lieux des appellations d’un toscan douteux, est-il indispensable d’assortir le nom Erbaghjolu d’un « Erbajolo » qui ne relève d’aucune langue répertoriée ?

Ce genre de problèmes, et bien d’autres, seraient résolus par la mesure d’officialisation que nous vous demandons d’adopter. Elle permettrait à un conseil municipal de délibérer valablement en langue corse, à une entreprise d’assortir une offre d’emploi de la mention « langue corse souhaitée »… Elle permettrait d’ériger le corse en langue de la promotion sociale, d’en faire un facteur d’intégration. Mesure généreuse à l’égard de ceux qui sont venus sur notre terre pour partager notre destin, elle leur permettrait de vivre la société corse comme nous le faisons nous-mêmes…

Cette officialité permettrait en outre de lever les verrous psychologiques qui, pour beaucoup de jeunes, font du corse la langue sacrée des anciens que l’on ne se hasarde pas à parler de crainte de commettre une erreur. L’officialité du corse ferait que sa forte charge symbolique – révélée par de nombreuses études – ne soit pas cantonnée à notre imaginaire collectif mais investisse le quotidien, à travers l’usage que chacun pourrait en faire.

L’officialité n’est pas l’affaire des nationalistes. Votée, elle ne serait pas la victoire d’une sensibilité de notre Assemblée.

Ce serait la victoire de tous les Corses…

Ce serait également une victoire pour ceux qui sont sur notre terre depuis peu de temps, et qui veulent vivre, pas seulement à côté de nous mais avec nous…

Combien ont-ils été, depuis le fonds des âges, à être partis de contrées lointaines pour arriver ici, et qui sont devenus Corses ?

Et comment ont-ils pu faire, si ce n’est en apprenant notre langue ?

Cette langue qui est nôtre, elle est aussi une parcelle du patrimoine de l’humanité.

Nous voulons l’apprendre à nos enfants, mais aussi aux enfants de ceux qui sont arrivés hier, et qui sont venus pour partager, non seulement notre soleil, notre mer, mais également l’âme, l’esprit de la Corse éternelle…

Au-delà des idées différentes qui nous séparent ici, dans ce sanctuaire de la démocratie corse,

Avec foi, avec confiance, avec solennité aussi,

Je vous demande de voter pour l’officialisation de la langue corse.

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