La République des traîtres




Il y a quelques mois, nous avions intitulé l’un de ces billets « Ministère du mensonge ». Il s’agissait de dénoncer une « contre-vérité » manifeste, émanant du ministre français de l’intérieur. En écrivant ces mots, nous n’étions pas même à mi-chemin de la réalité : ce n’est pas seulement un ministère, mais bien l’ensemble de la République française qui a fait du mensonge et de la trahison un mode de gestion politique, voire une sorte d’engagement spirituel… Nous en voulons pour preuve un gouvernement pour partie composé de transfuges dont le personnage emblématique, un ancien dirigeant du parti socialiste, fut naguère comparé à Judas à la « une » d’un magazine parisien. Figure archétypale du traître, ce ministre – que Nicolas Sarkozy s’amuse, non sans perversité, à faire applaudir tout particulièrement lors des meetings ! – est caractéristique de ce qu’est devenu la politique française. Regardez son visage : il n’est assurément pas celui qu’il avait à la naissance, même transformé par les ans. Observez ses expressions, son regard fuyant : il porte les stigmates de la trahison… Comme s’il s’attendait avec anxiété à rejoindre ses congénères dans le neuvième cercle de l’enfer, résidence que la Divina Comedia leur a assignée. D’autres sont plus assurés et promènent leur traîtrise avec toupet, si ce n’est avec superbe : des Talleyrand du 21e siècle, le talent en moins. Des « diables boiteux » au petit pied, en somme.

Et chaque nomination ministérielle est soumise à un nouveau concours de traîtrise…

Ne jouons pas les innocents : la duplicité a toujours existé dans la vie publique. Elle figure d’ailleurs parmi les préceptes machiavéliens : « Si fecisti, nega. » (Si tu l’as fait, nie le)… Mais chez Machiavel comme chez d’autres politiques traditionnels, le mensonge et le reniement des engagements étaient considérés comme des moyens, dans certaines situations, justifiés - même s’il s’agissait d’une piètre justification - par la « raison d’Etat ». Ainsi, le fameux « Algérie française ! » du Général de Gaulle, épisode qui n’ajouta rien à sa gloire, réelle par ailleurs.

Mais aujourd’hui, c’est tout autre chose que l’on observe : la politique est livrée à elle-même et définitivement déconnectée de ses fins éthiques. L’immoralité s’assume avec la hauteur que lui confèrent les plus brillantes responsabilités. Un ministre français (au demeurant d’origine corse) avait, il y a quelques années, donné le ton : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ! ».

Le reniement de la parole donnée suit immanquablement le moindre engagement. La question du rapprochement des prisonniers corses en est un exemple éloquent. Plus anecdotique est l’attitude de Jean-Marie Bockel, secrétaire d’Etat chargé des questions pénitentiaires (et autre transfuge du PS !). Après avoir lui-même proposé - pour calmer le jeu - de rencontrer les représentants des familles, il a purement et simplement annulé cet entretien. La manœuvre (promesse puis reniement) avait pour misérable objectif d’éviter un rassemblement - et donc un éventuel incident - lors de sa visite en Corse. Le représentant des familles de prisonniers a commenté ce revirement en constatant que Monsieur Bockel n’était pas un homme d’honneur. S’il l’avait été, il n’aurait ni changé de camp, ni participé à un gouvernement au sein duquel le mensonge et la trahison ne constituent pas seulement une « culture d’entreprise » : ils sont inscrit dans l’ADN de cette nouvelle et singulière forme de « république ». Et celle-ci croit dissimuler ses turpitudes en dispensant généreusement des leçons (Cf. l’hilarant discours de l’Université de Dakar qui restera longtemps dans les mémoires africaines !).

Aujourd’hui, au plan international, une prise de position française n’est plus un événement, pas même une information. Tout juste un sujet de plaisanterie…

Quant au bal des traîtres, il continue à battre son plein.

Jean-Guy Talamoni

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