CHANGER NOTRE RAPPORT À L’EUROPE
Force est de constater qu’au-delà des déclarations de principe d’un certain nombre d’élus, au-delà de l’enthousiasme, justifié au demeurant, manifesté à l’occasion de l’élection d’un parlementaire européen corse, l’Europe demeure largement, dans l’esprit de nos compatriotes, une entité abstraite, dispensatrice de crédits mais également productrice de normes contraignantes et parfois pénalisantes.
Le désintérêt quasi général observé durant la campagne des élections européennes est l’un des symptômes de la situation. Les responsables politiques aux affaires n’ont pas su, ou voulu, impulser les démarches qui auraient pu changer cet état d’esprit. La suppression en 2004 de la commission des affaires européennes de l’Assemblée de Corse en dit long sur leur incapacité à percevoir l’importance de certains enjeux, tout comme l’embryon d’antenne de la Collectivité Territoriale de Corse à Bruxelles, qui demeure, depuis des années, à la mesure des ambitions européennes des locataires du cours Grandval…
Quant à l’image que peuvent avoir les institutions communautaires de leurs interlocuteurs corses, elle demeure largement celle de « chasseurs de primes » n’ayant aucun projet global de développement, d’où un sérieux déficit de crédibilité. De fait, les relations entretenues avec Bruxelles, en ordre dispersé, par un certain nombre d’institutions politiques et professionnelles, n’ont évidemment qu’une efficacité extrêmement limitée.
C’est la raison pour laquelle il convient de développer, en direction de l’Union Européenne, une stratégie globale, cohérente et lisible, de développement économique, social et culturel, autour de laquelle pourraient s’articuler les projets particuliers. La démarche que nous portons pour notre part est connue : nous plaidons résolument pour un développement solidaire fondé sur la valorisation de l’identité et de l’environnement. En 2000, cette stratégie, proposée par le mouvement national, avait été validée par les principales institutions de l’île et avait été présentée à l’Union Européenne au cours du « processus de Matignon ». Les réactions des autorités communautaires avaient été très favorables à la démarche, laquelle avait été interrompue en même temps que le processus politique, après l’échec de Lionel Jospin à l’élection présidentielle française. Il n’en demeure pas moins que ce type de développement est aujourd’hui encore le seul pouvant être maîtrisé par les Corses et allant dans le sens de leurs intérêts collectifs. À l’inverse, la stratégie portée par le PADDUC et fondée sur la dépossession immobilière et l’économie résidentielle (ou « présentielle ») compromet lourdement la présence même du peuple corse sur la terre de Corse. C’est « la cage sans les oiseaux », vieux rêve caressé par des générations de politiques ou d’envahisseurs étrangers, français ou autres…
Il est évident que le caractère fructueux de nos relations avec l’Europe dépendra non seulement de la cohérence mais également de la pertinence de notre discours, au regard du seul objectif qui vaille : construire un développement au service des intérêts corses.
Jean-Guy Talamoni