Réponse à Michel Onfray








Des amis m’ont fait parvenir, par mon blog, deux articles de Michel Onfray concernant la Corse (« Le romantisme des rebelles »1 et « Corse nocturne, Corse solaire »2). L’un de ces textes me citant à plusieurs reprises, il me donne l’occasion de livrer ici quelques éléments de réponse. Non que l’auteur fasse preuve de malhonnêteté lorsqu’il rend compte de nos conversations d’il y a quelques années. Ce n’est pas le cas. Seulement, lorsque je me rappelle nos échanges, je suis étonné du ton et du contenu de ces deux récentes publications. Il me semble bien qu’à l’époque, Michel Onfray se montrait moins péremptoire, plus ouvert, y compris au sujet de la lutte nationale corse. Une explication à ce changement d’attitude semble apparaître dans son second article, lorsqu’il évoque « la petite poignée d’Ajacciens » qu’il fréquentait, et qui l’ont, dirait-on, lourdement déçu. C’est fâcheux, mais cela ne devrait pas le conduire à jeter tout le monde dans le même sac, d’autant que, d’après ce que nous croyons en savoir, son entourage corse de l’époque était pour le moins éloigné du mouvement national.

Sortons donc de l’anecdote pour entrer dans le vif du sujet.

Par ailleurs, lorsque Michel Onfray évoque la liberté de la presse et de l’édition françaises, je suis quelque peu surpris de le voir prendre le contre-pied de tant de journalistes parisiens, peu suspects de velléités révolutionnaires, qui se plaignent de graves dérives à cet égard, particulièrement ces dernières années.

Ma surprise devient stupéfaction lorsque l’auteur, évoquant « les cultures minoritaires bafouées ou combattues par des Etats jacobins, centralisateurs et négateurs d’identités marginales. », se refuse à faire entrer dans ce cadre les relations entre la Corse et l’hexagone. Que notre culture soit bafouée ne me paraît pas objectivement douteux. Que l’Etat français soit jacobin et centralisateur est une évidence que je n’ai jamais entendu contester, pas même par Jean-Pierre Chevènement !

Je passe sur le ton méprisant adopté dans le paragraphe sur la langue corse : « …les chanteurs qui travaillent aux PTT ou aux impôts, et poussent la mélodie polyphonique le dimanche en se tenant une oreille… ». Nous ferons comme si cette phrase n’avait jamais été écrite. Cher Michel Onfray, je peux concevoir que certains de vos amis corses vous aient déçu. Ce n’est pas une raison pour sombrer dans une caricature proche du racisme. Les arguments que vous avanciez il y a quelques années étaient d’un autre niveau.

« La langue corse sous perfusion » : voilà un argument plus sérieux dans la forme mais en réalité tout à fait spécieux. Notre langue a été volontairement et systématiquement déracinée depuis la conquête française. Pour ce faire, ce sont - à travers l’administration de « l’Education nationale » - des moyens politiques et financiers considérables qui ont été mis en œuvre. Depuis quelques années, sous la pression du mouvement national, Paris a dû consentir à infléchir légèrement sa démarche à cet égard. Mais les modestes sommes investies pour la langue corse n’ont, à défaut d’officialisation de cette dernière, aucune chance de la sauver, comme le confirme un récent rapport commandé par l’Assemblée territoriale. Le cas de la Catalogne sud montre comment l’officialisation peut réanimer puis développer une langue, en en faisant un vecteur de promotion sociale. Reprocher, comme semble le faire Michel Onfray, le manque de vitalité d’une culture que son pays a tout fait pour détruire, relève soit de l’inconséquence soit d’un cynisme effrayant. Dans le doute, nous retiendrons - non sans indulgence - la première hypothèse.

S’agissant des actions « faussement guerrières, vraiment ludiques » des indépendantistes, actions qui ne les conduiraient pas à « risquer leur peau », il convient de rappeler que de nombreux militants sont morts et qu’une centaine sont actuellement en prison. À cet égard, Michel Onfray devrait se garder de ressembler à ces « intellectuels en chambre qui excellent à placer leur fauteuil dans le sens de l’histoire » qu’il dénonçait au seuil du même article.

Par ailleurs, contester que la Corse a été et demeure une nation (alors que le roi de France qui l’a annexée le reconnaissait lui-même dans ses édits !) paraît relever, au mieux, d’une méconnaissance de la réalité, tout comme ces cocasses clichés sur le sort des femmes corses « réduites au rôle de cuisinières, de mères de familles ou utiles pour le repos du guerrier », clichés qui n’auraient pas même trouvé leur place dans un ouvrage - sérieux - du XIXe siècle.

L’honnêteté commande de relever également quelques phrases où affleure le doute : « Après tout, l’homme corse, qui vit debout, vaut mieux que l’homme postmoderne des sociétés industrielles qui vit couché, sinon vautré. » Dont acte.

Par ailleurs, Michel Onfray se garde de reprendre une thèse assénée depuis fort longtemps par de nombreux politiques ou « intellectuels » français : celle d’une infime minorité de nationalistes parvenant à éclipser, par leur activisme forcené, la volonté quasi-unanime des Corses de devenir de bons français. Michel Onfray semble reconnaître que l’état d’esprit qu’il entend fustiger est celui des Corses en général, ce qui tend à prouver que la Corse n’est pas la France. Et au fond, n’est-ce pas là l’essentiel ?

Au total, l’auteur vaut certainement mieux que ces deux textes, inspirés par l’amertume d’une relation avortée avec notre pays.

Il ne tiendrait qu’à lui de renouer les fils d’une conversation qu’il avait voulu initier, il y a quelques années, avec l’âme corse.

À condition qu’il revienne en ami et non en donneur de leçons.



Jean-Guy Talamoni



1.LeChroniqueur,http://www.globenet.org/chroniqueur/02/rubriques/grand_angle2.html2. Siné Hebdo, http://img201.imageshack.us/img201/9826/onfraycorse.jpg

Articles les plus consultés