L’Europe : un mot qui ment ?







Longtemps, je fus « anti-européen ». (…) Pour moi, pour nous, l’Europe était un mot qui ment.

Edgar Morin, Penser l’Europe.

L’Europe qui se construit de nos jours n’est certainement pas celle que nous appelons de nos vœux : les aspirations des pouvoirs financiers qui la dirigent sont aux antipodes des nôtres, l’hystérie sécuritaire des politiques qui la représentent nous fait horreur.

Où est-elle donc, cette Europe des droits de l’homme dont on a rebattu les oreilles de générations d’étudiants, lorsque l’on condamne impunément un innocent dans l’un de ses états membres ? Comment peut-elle se satisfaire de procédures dont la longueur et le manque d’efficacité rendent l’existence de recours plus théoriques que réels ? Pourquoi accepte-t-elle sans sourciller les fichages ADN, la multiplication des caméras de surveillance qui rendent illusoire la notion même de vie privée, les juridictions d’exception qui, par leur seule existence, portent une atteinte irrémédiable aux droits de la personne humaine ? Quelle prétention peut-elle avoir en matière de droits de l’homme et de libertés fondamentales quand, à cet égard, sa « Convention » reste largement lettre morte et son unique réussite demeure le « mandat d’arrêt européen » ?

Où se cache-t-elle, cette Europe sociale dont on nous a fait rêver, quand la fracture ne cesse de s’élargir, lorsque les « patrons voyous » sont les seuls à ne pas supporter les conséquences de leurs turpitudes, quand des intérêts privés liés au pouvoir politique s’emparent, pour des sommes dérisoires, de compagnies publiques (Cf. affaire de la SNCM) ? Que fait-elle lorsque l’on engage des poursuites pénales pour réprimer une action syndicale parfaitement légitime ?

Non, décidément, cette Europe de la finance et de la police n’est pas la nôtre…

Pour autant, ce constat doit-il nous conduire à devenir anti-européen ?

Certainement pas, si l’on considère que l’Europe actuelle souffre surtout de ne pas être suffisamment elle-même, de ne pas avoir su - ou pu - s’émanciper de ces états-nations « à la française », selon la désignation que leur appliquent les politologues. Ces derniers n’ont jamais laissé s’épanouir le principe communautaire dit de « subsidiarité » qui aurait pu donner la parole - et le pouvoir - aux peuples. Ceux qui, comme nous, pensent qu’un autre monde est possible, pensent également qu’une autre Europe peut advenir.

C’est dans cet esprit, et cette perspective, que doivent œuvrer les nations sans état du vieux continent, avec les forces politiques et sociales qu’elles auront su générer, pour ébranler l’ordre financier et policier européen.

Et bâtir, demain, l’Europe des peuples.

Jean-Guy Talamoni

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