Juridictions d’exception : l’Assemblée de Corse et la Commission d’enquête parlementaire
La « Commission permanente » de l’Assemblée de Corse a jugé irrecevable la motion déposée par Corsica Libera tendant à voir constituer une Commission d’enquête parlementaire sur l’affaire Colonna et les juridictions d’exception dites « antiterroristes ». Cette attitude est conforme au comportement habituel - et politiquement peu courageux - de la majorité de l’Assemblée, laquelle cherche systématiquement à éviter de se prononcer sur les questions qu’elle juge délicates. Une nouvelle motion a immédiatement été déposée par Corsica Libera sur le bureau de l’Assemblée :
Motion avec demande de priorité
Déposée par Jean-Guy Talamoni au nom du groupe CNI
Considérant la motion déposée le 28 mars 2009, dont les termes sont les suivants :
« Considérant le verdict prononcé à l’encontre d’Yvan Colonna ;
Considérant les graves atteintes aux droits de la défense constatées tant au moment de l’instruction que la Cour d’Assises spéciale (atteinte à la présomption d’innocence, refus de confronter l’accusé à ses accusateurs, défaut de reconstitution, partialité évidente du président de la Cour d’Assises spéciale…) ;
Considérant que tous ces éléments sont de nature à discréditer totalement la procédure suivie contre Yvan Colonna et plus largement les juridictions spéciales dites « anti-terroristes » ;
Considérant la constitution d’une commission parlementaire dans un autre scandale judiciaire, connu sous le nom d’« affaire Outreau » ;
Considérant les propos d’un membre du Conseil exécutif de Corse, lequel s’est publiquement déclaré favorable à la constitution d’une commission parlementaire chargée de se pencher sur l’affaire Colonna ;
Considérant que, malgré les doutes que l’on peut nourrir sur la capacité des institutions politico-judiciaires françaises à se remettre en cause, surtout lorsqu’il s’agit du problème politique corse, il n’est sans doute pas inintéressant de voir une telle commission enquêter sur les dérives des juridictions dites « anti-terroristes » ;
Considérant la décision rendue ce jour par la commission permanente de l’Assemblée de Corse déclarant ladite motion irrecevable ;
Considérant le premier argument de la commission permanente, selon lequel l’initiative d’une commission d’enquête parlementaire ne peut être que parlementaire ;
Considérant que la motion dont s’agit n’a évidemment pas pour objet d’ouvrir la procédure de constitution de la commission d’enquête, mais, comme toute motion de l’Assemblée de Corse, de formuler un vœu de nature politique que les parlementaires pourront éventuellement prendre en compte ;
Considérant qu’ainsi, ce premier argument semble avoir pour unique objectif de réaffirmer une évidence, et qu’il ne présente par conséquent aucun intérêt ;
Considérant le second argument de la commission permanente, aux termes duquel la commission d’enquête ne pourrait être constituée, au motif que l’affaire Colonna n’a pas connu un dénouement judiciaire définitif ;
Considérant que cette position relève d’une conception juridique plus que contestable ;
Considérant qu’il convient en effet de rappeler qu’en la matière, on adopte une interprétation souple des prescriptions légales dès l’instant où la proposition fait l’objet d’une rédaction « générale » (Cf. rapport Commission des Lois n° 1604 du 19 mai 1999) ;
Considérant qu’ainsi, quelques semaines après l’affaire dite « des paillotes », une commission d’enquête a pu se pencher sur les forces de sécurité en Corse et notamment sur le fameux GPS, et ce sans attendre plusieurs années la fin de procédure engagée (laquelle procédure n’était pas alors devant la Cour de cassation mais … en cours d’instruction !) ;
Considérant qu’ainsi, ce second argument de la commission permanente n’est pas plus pertinent que le premier, et que la motivation réelle de la déclaration d’irrecevabilité est manifestement de se débarrasser d’une motion posant problème à la majorité de l’Assemblée territoriale ;
Considérant cependant, qu’afin que la moindre ambiguïté ne puisse subsister et que chacun soit face à ses responsabilités, la référence à l’affaire Colonna peut être retranchée du dispositif, l’essentiel étant qu’une enquête soit réalisée sur les activités des juridictions dites « anti terroristes » ;
L’Assemblée de Corse demande la constitution d’une commission d’enquête parlementaire relative aux activités des juridictions spéciales dites « anti-terroristes ».