LA CORSE ET LA FRANCE





(Quelques fragments d’un texte d’une saisissante actualité)


« Quelle doit être la conduite de la Corse à l’égard de la France ? Doit-elle continuer à subir le fait accompli, ou bien doit-elle revendiquer son indépendance ? Nous croyons que ce dernier parti est celui qu’il lui convient de prendre, par cela même qu’il est le plus digne. Insultée, bafouée, vouée aux gémonies par la presse française, son honneur et sa dignité lui commandent impérieusement cette résolution… »

Ces lignes ne sont pas issues d’un manifeste de Corsica Libera. Elles sont extraites d’un petit texte lumineux - bien que méconnu - publié en 1870 par D.-M. de Buttafoco : « La Corse et la France ».1

Dès l’incipit, l’auteur annonce la couleur : « La Corse était une nation indépendante et libre avec un gouvernement issu de la volonté nationale, des institutions en rapport avec les besoins, les aspirations, le caractère et les mœurs de ses habitants, une magistrature intègre et énergique, des lois sages. Mais tout à coup cette nation disparaît pour se fondre dans une autre. La France, qui depuis longtemps convoitait la possession de cette île… »

Quelques pages plus loin, il ajoute : « la Corse n’est devenue un département français qu’à la suite d’une lutte inégale… », ouvrant la voie aux rédacteurs de A Cispra qui écriront, quarante ans plus tard, la fameuse formule : « A Corsica ùn hè micca un dipartimentu francese : hè una nazione vinta chì hà da rinasce ! ».2

D.-M. de Buttafoco répond par ailleurs au sempiternel argument parisien tiré du mensonge de la « solidarité nationale » (dont les dirigeants français continuent à nous rebattre les oreilles de nos jours !) : « …depuis cent ans que la Corse est française, le nombre des améliorations et des bienfaits dont elle a été comblée se réduit à un chiffre à peu près insignifiant. Nous n’exagérons rien, nous constatons. »

Non sans élégance, il se refuse à profiter des problèmes rencontrés par la France pour obtenir l’indépendance qu’il appelle de ses vœux (« Mais le moment n’est pas encore venu de discuter de ce sujet. »). En effet, l’heure est selon lui à « l’expulsion de l’ennemi », l’honneur commandant de livrer une guerre sans merci aux Prussiens. Ensuite, il sera temps pour les Corses de faire valoir « le vif sentiment de leur indépendance et de leur dignité. »

Et l’auteur de conclure : « Eh quoi ! nous les enfants de Sambucuccio, de Sampiero, de Ceccaldi, de Giafferi, de de Paoli, nous les descendants des premiers apôtres de la liberté en Europe, nous nous voilerions la face devant le mépris insolent de nos dominateurs, et refoulant au fond de l’âme tout sentiment de légitime indignation nous justifierions par une indifférence leur attitude à notre égard, Non, cela ne peut pas être, cela ne sera pas. »

Comme on le voit, si le style est quelque peu emphatique et désuet, les thématiques et l'argumentaire demeurent d'actualité.

J.-G. Talamoni

Bastia, Typographie Ollagnier.
A Cispra, Antologia annuale, mars 1914, ANT GED, Marseille, p. 2

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