PRELEVEMENTS ADN : VERS UNE JURISPRUDENCE CORSE
(Publié dans U Ribombu, en novembre 2006)
Depuis quelques années, les demandes de prélèvements génétiques sur des militants en garde à vue se multiplient. Cette démarche visant à établir des fichages ADN sur la base d’une appartenance politique constitue à l’évidence une atteinte aux droits de la personne humaine. C’est la raison pour laquelle plusieurs adhérents et responsables de Corsica Nazione Indipendente ont refusé catégoriquement le prélèvement. La loi française faisant de ce refus une infraction pénale, un certain nombre de procès ont récemment eu lieu devant les juridictions répressives insulaires. A chaque fois, les avocats ont plaidé la violation des textes relatifs aux droits de l’homme et, en particulier, de l’article 8 de la Convention européenne ayant pour objet de les protéger, article concernant le respect de la vie privée et familiale.
La contestation des fichages ADN n’est pas une spécialité corse, tant sans faut. La polémique se développe sur toute la surface de la planète, et donne parfois lieu, comme chez nous, à d’importantes décisions judiciaires. Aux Etats-Unis, le parlement du Massachusetts a voté en 1997 une loi permettant le fichage ADN de tous les détenus de l’Etat. Certains d’entre eux ont refusé. Sur les conseils de leurs avocats, ils ont fondé leur position sur le 4e amendement de la Constitution américaine, qui protège les citoyens - comme l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme - de toute intrusion dans leur vie privée. En 1998, un tribunal de Boston leur a donné satisfaction, confirmant le caractère attentatoire aux droits humains du prélèvement ADN sans autorisation. S’agissant des procès ayant eu lieu en Corse, la défense a également soulevé la violation de la loi interne française elle-même. En effet, les militants concernés avaient tous été placés en garde à vue sur la base de commissions rogatoires larges et imprécises, ne les visant pas nommément. De plus, ils avaient été remis en liberté quelques heures plus tard, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre eux dans l’affaire ayant motivé leur interpellation. Dans de telles circonstances, comment l’accusation pouvait-elle prétendre qu’existaient, au moment du refus de prélèvement, des « indices graves et concordants » ou des « raisons plausibles » de les soupçonner, conditions exigées par le Code de procédure pénale ?
A plusieurs reprises depuis quelques mois, les tribunaux de Bastia et d’Aiacciu, ainsi que la Cour d’appel, ont suivi le raisonnement de la défense en prononçant la relaxe des prévenus. Cette nouvelle jurisprudence n’est pas passée inaperçue de l’autre côté de la mer, car elle ne concerne pas seulement les Corses. Tous ceux qui refusent l’hystérie sécuritaire ambiante et les atteintes aux droits de l’homme seront attentifs à l’évolution de ce dossier.
Jean-Guy Talamoni