Réponse au discours d’Eric Zemmour à Aiacciu
« Un
réactionnaire est un somnambule qui marche à reculons. »
Franklin Delano Roosevelt,
1939
Le chroniqueur, réputé candidat à l’élection présidentielle
française, a tenu dans l’île des propos souvent attendus – ceux concernant ses
obsessions habituelles –, mais parfois plus étonnants, comme ce compliment
adressé aux militants du mouvement national. L’hommage du vice à la vertu, en
somme. Nul ne sera dupe de cette pseudo-connivence qui sent trop la manœuvre
pré-électorale.
Dans son discours d’Aiacciu, ce singulier visiteur a assuré
que le nationalisme corse « n’était pas une maladie mais le symptôme
d’une France qui n’est plus à la hauteur des attentes des Corses ». Il
semblerait qu’il soit plutôt lui-même le symptôme des maux qui affectent
gravement la société française : le ressentiment et la peur. Ces derniers,
on le sait, font toujours le lit des démagogies les plus perverses.
Dans une interview accordée à Corse-Matin, Eric Zemmour
assure « comprendre l’imaginaire de la nation corse ». Si tel était
vraiment le cas, il saurait que sa démarche est radicalement incompatible avec
la nôtre. Féru d’histoire, il n’ignore certainement pas que le XVIIIe siècle a
produit dans l’ensemble de l’Europe deux courants idéologiques
antagonistes : les Lumières et les anti-Lumières. S’il est connu que notre
tradition politique relève des premières – le régime paolien dont nous sommes
les héritiers en a brillamment témoigné en son temps, Monsieur Zemmour
s’inscrit pour sa part clairement dans le sillage du second courant, ces
anti-Lumières qui se réveillent en France dans les moments difficiles, lorsque
l’opinion est désorientée. Ce fut notamment le cas au moment de la défaite de
1940. (L’indulgence de Monsieur Zemmour à l’égard de Philippe Pétain témoigne
du reste de cette parenté idéologique.) C’est malheureusement à nouveau le cas
aujourd’hui.
Il faut reconnaître à Monsieur Zemmour qu’il se distingue des
autres responsables français actuels, lesquels se complaisent dans la seule
politique politicienne tandis qu’il est pour sa part réellement pourvu d’une
vision historique. Le problème tient à la nature hautement discutable – pour ne
pas dire davantage – de cette vision historique.
Ainsi, lorsqu’il prétend que le sentiment national corse n’est
dû qu’à l’abaissement actuel de l’hexagone, il s’agit d’une évidente contre-vérité,
notre patriotisme puisant ses sources au fond des âges. De la même manière,
lorsqu’il attribue à la France la création du concept de nation, il convient de
rappeler que celui-ci est utilisé en son sens moderne (opérateur d’une volonté politique
commune) dans les textes corses du début du XVIIIe siècle, soit à une époque où
la France monarchique ne le connaissait que dans sa signification archaïque
(ensemble des natifs ou originaires d’un territoire).
Par-delà ses approximations historiques, tout nous oppose à
Monsieur Zemmour : son engagement « philosophique » en faveur de
la peine de mort, anachronique et dégradant, son anti-européisme (que nous ne
partageons pas davantage que les indépendantistes catalans ou écossais), son antiféminisme
(la Corse permettait le vote des femmes des siècles avant la France), son
indifférence à l’égard d’êtres humains qui fuient la guerre au péril de leur
vie (les autorités corses ont, quant à elles, été les seules à vouloir ouvrir
l’un de leur ports à l’Aquarius)…
Sur tous ces sujets et bien d’autres, notre imaginaire
politique est encore imprégné de la générosité des Lumières, tandis que la
vision de la France et de l’Occident distillée par Monsieur Zemmour se révèle
étriquée, rabougrie et régressive.
Quant à la situation de notre pays, Monsieur Zemmour nous
promet – s’il est élu – l’application du droit commun français, quand nous
militons pour recouvrer une souveraineté pleine et entière conforme à la
vocation de la Corse, nation de droit naturel.
Autant dire que si une telle personnalité accédait à
l’Elysée, la perspective de voir un jour la France se comporter en pays ami s’éloignerait sans doute encore
davantage. Même si nous ne nous berçons pas d’illusions s’agissant des autres
candidats.
Jean-Guy Talamoni